Saturday, August 06, 2005

Les enjeux de l’émigration

Mes amis les immigrés, si vous avez le blues, le mal du pays, consolez-vous, au moins, avec le sentiment que vous participez activement au développement de notre pays. A en croire les chiffres publiés récemment [1], les transferts d’argent des Marocains résidant à l’étranger s’élèvent cette année à 10% du PIB ! En fait, il s’agit d’une sous estimation, puisque ni l’informel, ni des secteurs tels que le transport aérien ne sont comptabilisés. Qu’importe, la contribution est phénoménale au point que le Maroc occupe la 4ème place mondiale des transferts [2], derrière l’Inde, le Mexique et les Philippines ! Classement flatteur qui montre, si besoin est, l’attachement des « zmagrias » à leur Maroc chéri…

Pour l’instant, la question d’émigration est une aubaine pour le gouvernement. Elle fournit, on l’a vu, des retombées colossales en devises. Elle permet, de plus, d’alléger substantiellement le problème de chômage at home. Sans oublier qu’elle participe activement dans la promotion touristique du pays; de nombreux touristes ne sont-ils pas venus au pays uniquement grâce à leur connaissance d’amis marocains ?

Seulement voilà, il existe aussi un revers de la médaille. Comme le montre [1], les transferts d’argent émanent surtout des 1ère et 2ème générations (parlant d’Europe), et concernent en grande partie (83%) l’acquisition de maisons. La 3ème génération semble moins attachée au pays. Le gouvernement, conscient de ce problème, veut lancer des stratégies à même d’encourager l’investissement pour ses enfants émigrés. C’est louable. Mais je crains que le problème dépasse largement des initiatives de ce genre. Plus que la facilité d’investir, c’est le manque d’attachement au pays à mesure que les générations se succèdent qui est inquiétant. La première génération construisait des maisons car elle avait la certitude de retourner au « bled ». Ce n’est plus le cas pour la génération actuelle. En plus d’encourager le « business », le Maroc devrait lancer un pont culturel, médiatique et historique avec ses enfants résidant à l’étranger. Si on aime les voir investir, ils doivent connaître d’abord le pays et sentir des attaches très fortes…

Autre point négatif. A part les visas étudiants ou d’émigration pour le Canada, l ‘obtention de ces derniers devient très difficile. Le drame est que l’émigration, du coup, concerne les diplômés ou les futurs diplômés. Ce sont les forces vives du pays qui partent. Ce n’est pas grave, « se dit» le gouvernement : les « désertions » de boulot seront vite comblées par les nouveaux demandeurs et cela atténuera le problème du chômage. De plus, les nouveaux émigrés vont transférer également des devises. Cela n’est vrai, toutefois, qu’à court ou moyen terme. Les conséquences à moyen ou long terme peuvent être terribles. Une fois que les transferts deviendraient dérisoires et que des pays comme le Canada fermeraient leurs frontières, le Maroc se trouvera et sans devises et sans des diplômés expérimentés indispensables pour son décollage économique définitif. Pire, il devra alors faire face à une demande d’emploi plus forte !

Quoi qu’il en soit, il faut avoir conscience d’une chose : Les transferts d’argent, le tourisme, etc., sont des facteurs économiques qui ne doivent pas être considérés comme essentiels. Espérés certes, mais seulement accessoires, car volatiles. Un luxe quoi ! C’est le capital humain qui doit être investi et qui sera le gage de l’essor de demain si l’emphase est placée sur la recherche et le développement dans les domaines industriel, technologique, informatique et de nombreux autres secteurs.


[1] L'économie chérifienne menacée à cause de l'évolution des comportements des MRE

[2] Les transferts d'argent des Marocains émigrés en nette augmentation

7 comments:

Sonia said...

Je ne suis pas sure que l'on puisse dire que, par defaut, le tourisme et les transferts d'argent vers le pays soient "volatils".

Le probleme, c'est qu'aujourd'hui, ces deux sources de devises, car c'est cela dont il s'agit pour le Maroc, sont basees sur une logique affective:
- transferts d'argent a la famille parce que la famille au Maroc connait du chomage, et meme si la famille travaille, le niveau de vie est bas, alors les immigres compensent (sans compter toute la dimension psychologique du transfert d'argent qui prouve bien qu'on s'est exile et qu'on y a reussi...)
- le tourisme = visite a la famille (+ meme dimension psychologique). Par contre, je ne suis pas convaincue de l'importance que peuvent representer des touristes etrangers visitant le Maroc simplement car ils ont des amis marocains.

Comme tu le met en evidence, l'affectivite diminuant avec le temps et les generations, il faut entretenir de maniere rationelle, economique cette affection pour les origines. Il ne faut pas qu'elle soit le seul critere a prendre en compte mais qu'elle soit LE critere qui fait la difference.

Je pense a toute cette logique qui peut s'observer chez les immigrants aux US, qui maintiennent des contacts forts avec la patrie de leurs grands-parents. Non pas parce que c'est le pays des origines, mais parce que c'est rentable, interessant, et EN PLUS, c'est le pays des origines!... (enfin, a vrai dire, je n'en sais trop rien du comportement des immigres aux US, c'est l'image que j'ai d'eux en tt cas - rectifies si necessaire)

Au final, j'en reviens a ta conclusion: il faut que le Maroc se developppe de ses propres ailes et developpe des avantages concurrentiels (ou tout au moins une combinaison d'avantages concurrentiels) stables et soutenables. La belle affaire!

Jallal EL Idrissi said...

Sonia,

Je parlais de volatilité à moyen-long terme, en ce sens qu’on est pas sur du tout que les Marocains investiraient autant dans leur pays origine, pour les raisons évoquées auparavant. Le tourisme, quant à lui, est tributaire, entre-autre par la stabilité dans le monde arabo-musulman. Un attentat comme celui de Charm Cheikh a une incidence sur l’Egypte mais aussi sur toute la région. C’est pour cela que je dis que ces deux secteurs doivent être investis autant que possible, sans être considérés pour autant comme des secteurs indispensables à la survie de notre économie à long terme.

Je ne sais pas grand chose sur le comportement des immigrés aux US, n’ayant moi même débarqué chez l’oncle Sam qu’il y a peu de temps. L’immigration Marocaine, ici, comme tu le sais bien, est bien récente en comparaison avec l’Européenne. Si tu te réfères à l’immigration arabe en général, quand tu dis que les immigrants maintiennent des contacts forts avec le pays d’origine des grands parents, il va nous falloir estimer ce que représente cette portion par rapport au total pour avoir une idée précise. Par ailleurs, en plus des raisons que tu mentionnes, il faudra également ajouter le désir a long terme parfois de ces immigrés d’aller s’installer dans leur pays d’origine. Car c’est cela le moteur principal, pour le moment, des investissements des ressortissants en Europe : acquérir une maison où s’installer plus tard.

Anonymous said...

Moi ce qui me choque dans ton article, et c'est le cas depuis plusieurs années est la place des transferts dans notre économie.
10% du PIB
C'est énorme.
Cela me ramène à d'autres interrogations, si le tourisme qui est constitué à 50% de MRE, si ces transferts representent une si grande part , que produit le Maroc ?
Je ne veux point etre defaitiste ou pessimiste, mais c'est quelque chose de très grave, et j'avais interpellé mes amis il ya longtemps sur cette question.

Le Maroc est un pays pauvre, tout le monde le sait... mais ce qui me choque le plus est que rien ne permet d'espèrer.. une croissance honteuse pour un pays sous dev... des investissements selon les journaux spécilisés (lavieeco) qui n'augmentent pas , et se limitent à des acquisitions...

C'est grave... je ne suis pas un analyste, et ce n'est peut être pas mon domaine, mais ces quelques données n'augurent pas d'un avenir radieux pour l'économie marocaine, pour le Maroc en général.

Maintenant, pour revenir à nos MRE, les journaux en parlent tout le temps.. et le fait de n'en parler que pendant la période estivale montre que la relation entre le Maroc et ces marocains est essentiellement Economique.

Vous avez relevé l'importance de tisser des relations plus solides avec les émigrés de 3eme génération... pour quelle raison ?
Economique?
Ne cesserons nous pas d'etre un pays assistés ?

Et puis, pourquoi pas une relation culturelle dans les deux sens...? Cela apporterait beaucoup pour le Maroc ..

Excusez si j'etais long et hors sujet. :)

Ayoub
http://www.kingstoune.com

Sonia said...

Prendre en compte la 3e generation de MRE pour son developpement economique est normal. C'est une source de devises. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est de la considerer comme strategique dans le developpement au Maroc. Grosso modo, il ne faut pas mettre ses oeufs dans le meme panier. C'est un facteur comme un autre de developpement, dont l'importance est certainement a reconsiderer.

Cependant, Jallal, je trouve que ce que tu prends en compte pour definir des secteurs volatils est trop vaste. On ne peut pas considerer le tourisme comme volatil sous pretexte que, si un attentat se produit, cela va avoir des consequences desastreuses. C'est un risque qui est trop faible (au Maroc en tout cas, il me semble).

Anyway, le principe etant: il faut une strategie de developpement plus reflechie, plus stable, plus complexe egalement, avec moins d'aleas.

Ayoub, tu peux developper l'idee de la relation culturelle? Je ne suis pas sure de l'avoir comprise.

Jallal EL Idrissi said...

@Mehidou

Tiens, je ne savais pas que le 4. était vrai pour la Tunisie. En tout cas, chapeau !

Ce que tu dis est malheureusement vrai. C’est l’intérêt financier qui prime dans cette relation. D’ailleurs, faut-il ajouter que ces émigrés tant choyés n’ont toujours pas le droit de voter en 2005 !? Comment veux t-on impliquer ces gens dans les affaires du pays alors qu’ils n’ont même pas ce droit basique ?

En fait, je n’ai abordé la question que sous l’angle économique, en réaction aux deux articles que j’ai mis en référence. Le rapport entre le Maroc et ses émigrés est un sujet beaucoup plus complexe. Même en se limitant à l’aspect économique, j’ai l’intuition et l’illusion que ce dernier aidera à améliorer la relation dans sa forme générale.

Quant à ta question 2) de ton dernier message, la réponse est que quand on aime, on ne compte pas… L’amour du pays transcende le reste.

Mais tu vas loin, à la fin. Il faut toujours miser sur le tourisme, tout en combattant le tourisme sauvage et sexuel. Et il faut continuer à encourager l’investissement des « zmagrias » tout en améliorant nettement la relation avec ces derniers.

Jallal EL Idrissi said...

@Ayoub

D’accord avec toi que la dépendance vis à vis de l’émigration et du tourisme est symptomatique du disfonctionnement de l’économie. C’est l’essentiel de ma réaction. Pour s’en persuader davantage, il suffit de constater que les puissances mondiales considèrent comme émergents surtout des pays tels que le Brésil, l’Inde et la Chine, loin, mais vraiment loin devant nous. Ces trois pays, sans surprise, ne s’appuient, économiquement, ni sur le tourisme, ni sur l’argent de l’émigration, mais sur le développement industriel.

Pourquoi tisser des relations économiques avec les émigrés ? D’abord, parce que tu l’as dit, le Maroc est un pays pauvre. Et pour joindre l’utile à l’agréable, rien de mieux qu’impliquer ses enfants à l’étranger. Un tel projet, planifié de manière visionnaire, créera une synergie multidimensionnelle : humaine, culturelle, nationale, industrielle, etc. Comment ? Tout un sujet. Mais un tel projet, ne devrait pas être LE projet mais un projet simplement. Et pour le reussir, le gouvernement devrait établir avec ses « zmagrias » une relation de respect et d’affection. En commençant finalement à regarder leur visages avant leurs poches… Quand je parlais du pont culturel, c’es clair qu’il s’agit d’un pont bi-directionnel et non dans un seul sens.

Jallal EL Idrissi said...

@Sonia,

Voilà, on se rejoint tous, dans cette discussion, sur l’idée de ne considérer l’émigration comme un facteur économique stratégique.

Question volatilité, probablement que tu as raison. Je voulais mettre l’accent surtout sur le futur inconnu de l’investissement des émigrés. C’est pour cela que je parlais du moyen-long terme seulement. Mais je me rends compte que cela concerne également l’épuisement des puits de pétrole dans les pays de golfe par exemple. En tout état de cause, j’estime que l’argent investi ira decrescendo à moins d’un changement substantiel de politique d’émigration.

Quant aux attentats terroristes, un pays comme le Maroc en souffre, même s’ils n’ont pas lieu sur son sol. Le 11 Sept 2001 a eu une incidence significative sur le tourisme Marocain.