Tuesday, February 07, 2006

Des enjeux politiques de la polémique des caricatures

Nous avons déjà entamé le débat sur la controverse liée aux caricatures scandaleuses du prophète. Il y a été question, notamment, du caractère haineux des dites caricatures bien sur, mais aussi de l’incohérence des musulmans quant au sentiment vis-à-vis des différents prophètes, de la réaction exagérée de certains musulmans ayant eu recours à la violence, du bien fondé ou non du boycott de point de vue éthique, ou de l’incohérence régnante en occident dans l’application trop biaisée du concept de liberté d’expression. D’autres points ont été soulevés également.

Qu’en t-il des enjeux politiques ? Beaucoup ont émis l’hypothèse selon laquelle la controverse serait revenue sur scène, quatre mois après son déclenchement, en raison d’une visite de quelques religieux musulmans du Danemark au Moyen Orient où ils auraient informé les leaders locaux de la gravité de l’affaire. Ces derniers auraient profité de l’aubaine pour détourner l’attention de leurs peuples de leurs souffrances actuelles et récurrentes telles que le scandale meurtrier lors du dernier pèlerinage ou, sur un plan plus général, leur lutte quotidienne pour la démocratie et pour les droits de l’homme. Cette analyse est un peu tronquée, car elle omet de mentionner qu’un journal Norvégien avait pris la liberté de republier les caricatures le 10 Janvier, prenant ainsi une grande responsabilité dans la recrudescence des manifestations. Ceci dit, l’analyse ci-haut comprend une part de vérité.

Indépendamment de ces considérations, il est important de prendre un peu de recul par rapport à l’indignation légitime suscitée par les caricatures. Il serait notamment crucial pour les musulmans de réclamer justice dans le cadre du droit démocratique. Cela implique qu’ils ne doivent pas récuser aveuglement le principe de liberté inconditionnelle de la presse avancé ici et là, car cela sous-entendrait que l’Islam s’oppose aux lois démocratiques. Si la loi dans un pays quelconque dicte que tout organe d’informations jouit de liberté totale de publier quoi que ce soit et que le seul recours pour les victimes éventuelles d’un lynchage quelconque est le recours à la justice qui pourrait, le cas échéant, punir l’organe en question, nous devrions l’accepter car cela relève du jeu démocratique. En conséquence, nous ne devrions pas, non plus, crier au scandale si les pays concernés n’émettent pas d’excuses au monde musulman en avançant qu’ils ne peuvent agir qu’une fois la justice saisie et que cette dernière déclare coupables les journaux incriminés. Car, en agissant de la sorte, nous serions encore une fois entrain de demander à ces pays de transgresser les principes de la démocratie. Je relève, au passage, que contrairement à la Isabelle Guigou (1), Jacques Chirac n’a pas adopté cette posture en déclarant seulement que la liberté d'expression était un des fondements de la République, et en appelant chacun au plus grand esprit de responsabilité, de respect et de mesure, sans pour autant mentionner explicitement que la justice pouvait être saisie et, que, le cas échéant, les journaux incriminés pouvaient être punis en conséquence.

Evidemment, les musulmans pourraient très bien dénoncer les gouvernements qui gêneraient la justice dans ses délibérations sur cette affaire ou même dénoncer la justice si elle se montre partiale ou incohérente par rapport à des polémiques précédentes (2). Du reste, les caricatures (du moins celle avec la bombe au lieu du turban, et celle liée aux vierges) sont d’un caractère tellement haineux et raciste que je ne vois pas comment une justice impartiale pourrait acquitter les journaux les ayant publiées.

Par cette attitude, les musulmans montreraient qu’ils ne sont pas contre les principes fondamentaux de la démocratie, notamment la liberté d’expression inconditionnelle d’une part, et la punition des violations de la loi après saisie de justice d’autre part. Cela, d’abord, couperait le souffle aux opportunistes occidentaux qui aimeraient profiter de cette occasion pour véhiculer davantage l’idée que l’Islam, par essence, est contre les libertés.

Plus important encore, et c’est là où je veux en venir, toute autre attitude pourrait être instrumentalisée par les régimes arabes et musulmans qui justifieraient, et dans le passé et surtout dans le futur, leurs mesures répressives contres les opposants politiques et les voix dissidentes, en collant à ces derniers des penchants athéistes, ou en les accusant de se moquer des symboles religieux pour mettre leurs vies en danger ou, au moins, les discréditer auprès de l’opinion publique et ainsi détruire leurs carrières politiques ou affaiblir leur activisme et militantisme. On sait, o combien très bien, comment les régimes arabes instrumentalisent le sentiment religieux de leurs populations pour asseoir davantage leur légitimité et surtout éliminer leurs adversaires. Cela a même amené un certain Saddam à ajouter « Allaho Akbar » au drapeau Irakien … Attention donc au revers de la médaille… La lutte pour la démocratie est déjà compliquée !
(1) Elisabeth Guigou, ancienne ministre de la justice, députée de Seine-Saint-Denis, a affirmé que "La liberté de la presse est un principe absolu avec lequel on ne peut pas transiger. Il n'y a pas en France et dans les pays européens de censure administrative et politique. Seuls les tribunaux peuvent trancher s'il y a violation des lois". Les dessins à l'origine de la polémique sont "pour la plupart médiocres". L'un d'eux est "franchement odieux, celui qui assimile l'islam au terrorisme", a-t-elle dit. Il s'agit d'"un amalgame absolument inadmissible et je comprends qu'il choque et blesse les musulmans, car l'islam est une religion de paix", a-t-elle ajouté. Elisabeth Guigou a estimé "aussi important de regarder les répercussions politiques" de cette polémique et "pourquoi aussi cette affaire explose quatre mois après la publication des dessins".
(2) Les exemples d’incohérence sont légion. Je rappelle ici, par exemple, qu’après les huées de l’hymne national Français par quelques supporters d’origine Algérienne en octobre 2001, voici ce qui s’en est suivi : “Les députés se sont prononcés jeudi à l’unanimité pour instaurer une peine de six mois de prison et 7 500 euros d’amende pour les outrages au drapeau français et à la Marseillaise. Cet amendement au projet de loi pour la sécurité intérieure a été pris à l’initiative d’un vice-président de l’Assemblée nationale Rudy Salles (UDF), qui a rappelé l’émotion suscitée par les sifflets qui avaient accueilli l’hymne national au Stade de France, à l’occasion du match amical France-Algérie, le 6 octobre 2001 et de la finale de la Coupe de France, Bastia-Lorient, le 11 mai 2002.” Maintenant, je ne serais pas étonné que ces mêmes députés crient aujourd’hui au principe non négociable de la liberté d’expression. Le comble du ridicule…
D’autres exemples d’incohérence sont élucidés, dans les articles suivants, entre autres: